jeudi, mai 09, 2002

Le Monde 09.05.02 | 14h01
L'édito du Monde
Terreur au Pakistan
Le Monde éditorial

IL N'AURA PAS fallu plus de trois jours après le deuxième tour de l'élection
présidentielle pour que le monde extérieur, étrangement absent de toute la campagne, se
rappelle à nous sur un mode tragique.
Quatorze personnes, dont onze Français, ont été tuées,
mercredi 8 mai à Karachi, dans un attentat-suicide. On
ne sait rien encore sur les kamikazes et leurs
motivations, on sait seulement que ces Français,
originaires de Cherbourg, travaillaient à la
construction d'un sous-marin pakistanais et qu'ils
voyageaient dans un bus de la marine.

Le premier réflexe est d'impliquer Al-Qaida et les réseaux de Ben
Laden, qui semblent avoir trouvé au Pakistan une base de repli
après les opérations militaires américaines en Afghanistan. Le chef
de la police provinciale à Karachi a avancé cette hypothèse, reprise
par le chef d'état-major de l'armée française, le général Kelche.
Mais aucune revendication n'est, pour l'instant, venue corroborer
cette explication. Le président pakistanais Moucharraf a mis en cause le "terrorisme international", sans
plus de précision, une manière de détourner l'attention des causes internes de l'insécurité dans son pays.
C'est à Karachi que le journaliste américain Daniel Pearl a été enlevé et assassiné. Le procès de ses
assassins, qui devait avoir lieu dans cette même ville, se tiendra à quelque 100 kilomètres pour éviter les
manifestations de soutien.

Les Français travaillant pour la direction de la construction navale ont-ils été visés en tant que tels,
parce qu'ils étaient étrangers, occidentaux ? Ont-ils été victimes d'une action dirigée indirectement
contre le pouvoir du général Moucharraf, qui, depuis les attentats contre le World Trade Center et le
Pentagone, a choisi de soutenir la politique américaine, contre une grande partie de son opinion, voire de
son armée ? Quoi qu'il en soit, l'attentat de Karachi est un dur réveil pour les Français, quelques
semaines après l'attentat contre la synagogue de Djerba, qui a choqué l'Allemagne parce que les victimes
étaient des touristes allemands.

C'est un dur réveil pour l'Europe tout entière qui, passé les élans de solidarité avec les Etats-Unis au
lendemain du 11 septembre, serait volontiers retournée à sa quiétude antérieure. Alors que les
Etats-Unis se sentent toujours "en guerre contre le terrorisme", avec tous les excès que des explications
schématiques peuvent entraîner, les Européens avaient tendance à penser que le plus dur était passé et
que les Américains exagéraient.

En réalité, les Européens, et les Français en particulier, faisaient peut-être comme si... Pour ne pas
s'avouer une crainte masquée, liée aux secousses d'un monde menaçant, auquel la globalisation nous
interdit d'échapper. Il n'est pas exclu que cette crainte ait trouvé une expression implicite dans les urnes,
sous une forme aberrante ou extrémiste. Mais, au-delà des paroles convenues, quel homme d'Etat
français a tenu, sur les nouvelles menaces mondialisées, un discours courageux et convaincant ?

* ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 10.05.02